jeudi 7 avril 2022

Le même déni : Russie en Ukraine et présidentielle en France

 


Le massacre de Boutcha va rejoindre – historiquement – ce que fut celui de Guernica.. Nos abstentions, par peur de la vérité qu’est le corps-à-corps (le bras-de-fer nucléaire, fondateur de la « coexistence pacifique » que fut le dialogue Kennedy-Khrouchtchev en Octobre 1962, approuvé par de Gaulle, et que nous n’osons pas avec Poutine), ne vont susciter aucun avenir ni pour le monde ni pour l’Europe, toujours en mal d’une défense commune, nucléaire et rétablissement du contingent compris, en mal plus encore d’une direction incarnée par une élection au suffrage direct de tous les Européens, de la présidente ou du président de l’Union. La guerre d’Espagne, au moins, avait placé dans le ciel des volontaires contre la Légion Condor, les mêmes ou à peu près qui constituèrent l’escadrille Normandie-Niemen. Nous vendons des Rafale à l’assassin de Kashoghi, au pays qui bombarde le Yémen, mais nous ne savons pas en prêter ou en donner à ceux qui nous supplient, pilotés ou pas par des « volontaires » ou d’héroïques Ukrainiens certainement capables de passer en une ou deux semaines du Mig à notre chef-d’oeuvre.


Tandis que nous est proposé «  un choix de civilisation » à huit jours du plus décisif de nos scrutins, dans une République et une vie politique nationale bloquées par le quinquennat (dont l’instauration, selon tous, devait ne rien changer), candidats (sauf un, « par-dessus-la-jambe ») et électeurs rivalisent de cécité : pouvoir d’achat, immigration, nucléaire, et ainsi de suite. Autant d’« hors-sujet ». La comparaison des menus et des programmes ne fait pas distinguer ce qu’appelle la nature de l’élection présidentielle : le choix d’une personne, d’une personnalité, capable de trancher le nœud gordien 1.


Une seule est visible et elle nous propose de – tous – redoubler. Après cinq ans d’éloignement du pouvoir politique vis-à-vis de nous, malgré les palinodies du grand débat national, de la conférence citoyenne sur le climat, et bien des noms de rue ou de place pour rendre compte d’un examen de fond sur des professions en difficulté d’exercice, nous sommes conviés à recommencer sans proposition pour que l’Union européenne s’incarne enfin, sans proposition pour que nos institutions retrouvent leur souplesse, donc l’écoute du peuple et de l’Histoire, qui les fonda.

Et notre vote serait ignoré parce que – faute de légalisation du vote blanc et d’un quorum de participation, pourtant si réclamés – le choix serait entre la « civilisation » et l’une ou l’autre de nos abominables extrêmes ? François Hollande qui, ostensiblement, ne prit pas, au premier tour de 2017, le bulletin de vote proposé par le parti qui l’avait porté cinq ans auparavant à l’Elysée, se fit apostropher à Carmaux : «  vous nous avez volé le socialisme ! ». Nicolas Sarkozy qui, de New-York, opina sur Yvan Colonna et, méprisant l’indépendance de la magistrature, le condamna à la perpétuité, lui-même toujours pas condamné par la justice quinze et dix ans après les faits, aura suscité à nouveau une question corse, alors que Napoléon Bonaparte l’avait universellement résolue, que les Français ont droit à la différence 2, et que l’innocence du berger a – peut-être bien - été masquée par son sens de l’honneur lui interdisant de dénoncer qui que ce soit… et Emmanuel Macron, seul des candidats pour lequel nous avons tous les éléments d’évaluation (panique quand surgirent les gilets jaunes », « affaire Benalla », « affaire McKinsey », mise en évidence rétrospectivement de la protection d’État dont il bénéficia dès le début de sa campagne de 2017 malgré l’opposition de la hiérarchie policière d’alors, etc... sans doute), sera reconduit sans réflexion à son propos et uniquement par notre supposition ou notre appréhension de ce que feraient Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon s’ils disposent du pouvoir présidentiel, quasi-discrétionnaire selon la jurisprudence de ces derniers cinq ans ?


Je ne suis d’accord ni avec l’une ni avec l’autre, en termes de programme affiché, mais nous pouvons prévoir que ni l’une ni l’autre, à l’Elysée, n’aura de majorité parlementaire, qu’en conséquence le retour à une cohabitation rétablira un véritable contrôle du Parlement sur le gouvernement et chacun des textes, lequel gouvernement ne pourra être que de coalition, laissant beaucoup d’initiatives aux nouvelles oppositions. La démocratie se rétablira mieux avec ces scenarii – novateurs et au vrai peu risqués – que par le recommencement de ce que nous venons de vivre. Un véritable inventaire de nos multiples dévoiements est à faire, il ne s’entreprendra pas si nous redoublons.


Libre examen nécessaire en fonctionnement de nos institutions nationales, mais plus encore en adéquation de nos armées aux situations que nous n’avons guère prévues mais qui vont nous en imposer désormais. Nos échecs dans des partenariats qui nous étaient naturels : l’Algérie, l’Afrique au sud du Sahara. L’évidence qu’en cohésion sociale et en réarmement moral (ce qui suscita la naissance d’une dialectique européenne le 9 Mai 1950), s’impose le nouvel établissement d’un service national universel, garçons et filles, obligatoire pour une durée assez appréciable qui permette l’initiation aux armes et aux organisations de défense opérationnelle du territoire, puis des contributions au développement dans notre Vieux Monde ou, précisément, en Afrique où notre jeunesse rayonnera la démocratie née de la turbulence et de l’idéal.


Les décisions à prendre sont là : principalement, 1° le retour au septennat pour découpler de l’élection du président de notre République celle de notre Assemblée nationale et rendre à celle-ci le contrôle, 2° la pratique à retrouver d’une planification souple à la française réinscrivant toutes nos gestions économiques et financières, privées comme publiques, dans des prospectives et des concertations que nous ne vivons plus, enfin 3° la reprise de l’initiative traditionnelle de notre pays pour des solutions radicales de la question d’Europe 3. Aucune ne sera prise par Emmanuel Macron dans les cinq prochaines années, puisqu’il n’en a pas même soupçonné l’urgence ces cinq dernières années.


Le déni que constituerait notre redoublement pour cinq années qui ne seront pas nouvelles, ressemble – en morale au moins – à celui opposé, depuis le 3 Avril, à l’évidence d’un horrible massacre.






Bertrand Fessard de Foucault,

ancien élève de l’E.N.A., ancien ambassadeur

1- épreuve dont triompha Alexandre et titre du livre posthume de Georges Pompidou

2- Le Monde du 27 Août 1975 . à la suite du drame d’Aleria

3- le mot est d’Etienne Burin des Roziers, secrétaire général de l’Elysée de 1962 à 1967, donnant en 1972 à Bruxelles une conférence en qualité de notre représentant permanent pour les Communautés européennes d’alors

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